
L’Aparté - Transition climatique : l'investisseur à la manœuvre
Transition climatique : l'investisseur à la manœuvre
Depuis les premières alertes des scientifiques au début des années 1970 (Rapport Brundtland, Meadows, Club de Rome), plus de quarante ans ont été nécessaires pour parvenir à un consensus sur la nécessité de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète à moins de 2°C. Ce consensus a été entériné par les Accords de Paris en 2015. Au cours des dix dernières années, cette lente phase d’acceptation a progressivement laissé place à l’élaboration de scénarios de planification permettant de mieux définir les efforts à réaliser pour atteindre le fameux point d’équilibre Net-Zéro. L’objectif recherché est de réduire les émissions de GES (gaz à effet de serre) de nos activités humaines à un niveau compatible avec la capacité d’absorption des puits de carbone naturels. L’ensemble des grandes économies se sont livrées à cet exercice avec comme horizon le milieu du siècle (2050 pour l’Europe et les Etats-Unis, 2060 pour la Chine). Désormais, environ 90% des émissions mondiales de GES et par conséquent 90% du PIB mondial sont couverts par des accords Net-Zéro avec divers scénarios de transition.
Voici venu le temps de l’action. Sur les trois prochaines décennies, l’objectif est de cantonner le réchauffement climatique au niveau acceptable de 1,5 à 2°C. A l’image d’un problème mathématique multifactoriel d’optimisation sous contrainte, l’humanité va devoir utiliser notre budget carbone résiduel pour orienter nos économies vers un état de fonctionnement sevré de l’usage des énergies fossiles. Celles-ci ont pourtant constitué l’un des principaux moteurs de l’amélioration de nos conditions de vie depuis le début de l’ère industrielle. Le défi est de taille, mais la bonne nouvelle est que nous sommes collectivement déterminés à mobiliser les moyens humains, technologiques et financiers nécessaires pour bâtir un modèle économique bas carbone. Cette transformation en cours est une onde de choc majeure qui traverse l’ensemble des structures économiques. Elle offre une opportunité d’investissement inédite mais s’accompagne également de nouveaux risques. Les investisseurs doivent donc s’adapter pour évoluer dans un monde qui se recompose au gré de la transition.
Entre ambition écologique et principe de réalité : accompagner la transition sans se brûler les ailes
La transition climatique a naturellement trouvé son élan dans l’impulsion des États, qui sont au cœur de l’orientation donnée à la Société. Pour autant, les chemins empruntés pour atteindre cet horizon commun révèlent une fascinante diversité : l’Europe s’impose comme la championne de la réglementation, les États-Unis misent sur l’innovation et l’incitation, tandis que la Chine fait preuve d’un grand pragmatisme. La voie européenne en matière de transition met en évidence l’approche structurée et réglementée caractéristique de l’Union. Le vieux continent a en effet été le premier à incarner un leadership climatique au travers d’une réglementation proactive considérant avant tout le carbone comme une contrainte. Bien avant les Accords de Paris (2015) et le Green Deal (2021), l’Europe a ainsi commencé très tôt à pratiquer une approche par la contrainte en forçant les agents économiques à intégrer l’externalité négative que représente le CO2 dans l’équation économique : via la taxe carbone mise en place dès 2005 puis à travers la déclinaison de mesures telles que la mise en place de normes d’émissions pour le secteur automobile (2009), ou encore la directive sur l’efficacité énergétique (2012). A première vue, ces politiques ont certes représenté des défis majeurs, mais elles ont également été source d’opportunités sans précédent pour les entreprises et les investisseurs qui ont su les saisir. On se souviendra du beau développement de Plastic Omnium (aujourd’hui OPMobility) qui a su se positionner habilement pour profiter de la thématique d’allègement des pare-chocs et autres pièces de carrosserie automobiles durant la décennie 2010. Cet allègement, lié à la substitution d’acier lourd par du plastique léger, fut un levier de réduction d’émissions important pour les constructeurs automobiles. L’innovation constante de Plastic Omnium était le moteur de sa dynamique de gain de parts de marché ; y compris aux Etats-Unis quand des normes ont été plus tardivement édictées. On peut également rappeler l’excellent parcours de Schneider Electric, le leader continental dans l’efficience énergétique, dont les systèmes se retrouvent au cœur de nombreux bâtiments et processus industriels. Ces deux champions européens exportent aujourd’hui leur savoirfaire au reste du monde. Aux Etats-Unis, la méthode employée est différente. A l’inverse de l’Europe ayant opté pour des méthodes plutôt coercitives, l’approche américaine est résolument incitative. A travers l’Inflation Reduction Act (2022), les Etats-Unis ont mis en place un cadre extrêmement favorable aux acteurs économiques souhaitant mener des projets en lien avec la décarbonation. L’incitation est double. Elle est à la fois financière, avec un mécanisme généreux permettant de couvrir une partie des investissements nécessaires à l’émergence de nouvelles technologies propres (subventions aux projets de recherche et développement, avantages fiscaux à l’investissement…). Elle est également réglementaire, assurant un cadre légal idéal permettant l’obtention d’autorisations nécessaires dans de courts délais, et l’érection de barrières douanières protégeant les acteurs domestiques d’une concurrence moinsdisante sur le plan environnemental. Ce climat propice à l’investissement et l’innovation a contribué à l’émergence de nombreux projets stratégiques (gigafactories, énergies renouvelables…), portés aussi bien par des entreprises américaines que par des sociétés étrangères qui ont multiplié les investissements aux Etats-Unis. Dans l’un des secteurs les plus émetteurs de CO2, le cas du cimentier français Vicat, qui dispose de plusieurs sites dans le monde, en constitue une bonne illustration. Amené à réfléchir à des solutions de capture de carbone pour ses émissions résiduelles, son projet de décarbonation le plus abouti ne se situe pas en Europe, mais aux Etats-Unis. Le Department of Energy américain a en effet sélectionné le projet de capture de CO2 de Vicat en Californie comme bénéficiaire d’une subvention considérable (jusqu’à $500m) couvrant 50% de l’investissement initial nécessaire au projet, ainsi que d’une économie d’impôt annuelle couvrant le coût de capture et de stockage. Cet exemple met parfaitement en lumière la stratégie américaine consistant à encourager via de généreuses subventions aussi bien les projets de décarbonation les plus aboutis que les innovations les plus risquées. Les Etats-Unis font ainsi rimer souveraineté et réindustrialisation avec décarbonation, permettant de dérisquer certaines facettes de l’équation financière que les investisseurs et porteurs de projets ne sont pas systématiquement capables d’assumer. L’élection récente de Trump à la Maison Blanche peut certes légitimement inquiéter sur la poursuite de cette politique américaine de transition, mais la décarbonation reste pour l’instant bien en marche.
Les Etats Républicains sont en effet les principaux bénéficiaires des projets financés par l’IRA; le secteur privé comprend qu’il ne peut pas faire marche arrière en matière de décarbonation, à l’image de Microsoft prêt à redémarrer la centrale nucléaire de Three Miles Island pour alimenter ses centres de données; et enfin l’industrie pétrolière peine à répondre à l’appel du président Trump “Drill, baby, Drill” l’invitant à augmenter son rythme de forage, par crainte d’une rentabilité insuffisante. L’approche adoptée par la Chine est encore plus singulière, particulièrement en raison de son économie et de sa gouvernance, plus dirigiste et très pragmatique. Le pays a en effet su penser cette période de transition comme une opportunité de redistribution des cartes dans les rapports de force géopolitiques. En mobilisant des moyens techniques, humains et financiers conséquents pour la construction de filières comme celle des batteries, ou de l’énergie solaire, l’empire du Milieu se construit une avance technologique considérable en matière de Cleantech. C’est donc en grande partie grâce aux économies d’échelles atteintes par la Chine, qui sait produire des véhicules électriques pour moins de $10 000 ainsi que des panneaux solaires à $10-15ct le watt, que le reste du monde peut se décarboner de manière abordable. On observe pourtant que la Chine a fait le choix de ne pas totalement abandonner son système énergétique existant avant que le système alternatif ne soit parfaitement fonctionnel. La Chine continue d’être paradoxalement à la fois le premier consommateur de charbon, tout en étant à l’origine de plus de la moitié des nouvelles installations d’énergies renouvelables dans le monde. Comme l’a récemment rappelé le président chinois Xi Jinping en 2020 : “«Nous ne pouvons pas débrancher le vieux système avant d’avoir construit le nouveau. Il est essentiel de garantir que la transition énergétique se fasse sans perturber la sécurité énergétique nationale».
A l’heure où l’Allemagne est vivement critiquée pour certains choix notamment celui d’avoir décommissionné son parc nucléaire, occasionnant la vulnérabilité de son système énergétique, l’approche chinoise nous rappelle l’importance d’être pragmatique en matière de transition. On constate en effet douloureusement que décarboner trop vite, et sous de fortes contraintes auto-imposées, implique le risque de désavantager les entreprises européennes en leur faisant endosser des coûts amputant leur compétitivité. Le parallèle avec l’investissement de transition est saisissant. Il convient de rappeler que ce sont majoritairement les flux de trésorerie existants, bien qu’issus de modèles économiques carbonés, qui permettent de financer progressivement la transition vers une réalité décarbonée. Il revient donc à l’investisseur de transition de veiller à ce que cette allocation du capital se fasse de manière pragmatique et responsable. En effet, on ne peut pas exiger d’un industriel qu’il se décarbone à 100% si le coût de sa décarbonation est dénué de toute réalité économique à court et moyen terme, risquant de le rendre non compétitif et de menacer sa survie. Une approche radicale serait semblable à un auto-sabordage.
"Ce sont majoritairement les flux de trésorerie existants, qui permettent de financer progressivement la transition vers une réalité décarbonée"
L’Europe regorge d’exemples de transformations réussies, à l’image du danois Ørsted, historiquement producteur de gaz et de charbon, qui a démontré qu’il était possible en l’espace d’une décennie de basculer graduellement du 100% fossile au quasi 100% renouvelable tout en créant de la valeur pour les actionnaires. Loin de ce cas très médiatisé, d’autres sociétés plus discrètes que nous accompagnons en tant qu’investisseurs ont démontré la compatibilité entre décarbonation et compétitivité dans des industries énergivores. C’est le cas du transformateur d’aluminium suédois Gränges qui convertit des lingots d’aluminium en alliages à haute valeur ajoutée qui sont utilisés par l’industrie CVC (chauffage, ventilation, climatisation), pour le packaging, ainsi que pour les échangeurs de chaleur dans l’automobile. La société a récemment connu une forte progression de son résultat opérationnel malgré un chiffre d’affaires stable voire légèrement décroissant. Le principal levier d’amélioration justifiant cette performance a été l’incorporation d’un taux élevé d’aluminium recyclé (avoisinant désormais les 50%) en remplacement de l’aluminium primaire. Cette initiative a non seulement permis de faire baisser considérablement les coûts matières de la société, mais également d’afficher une réduction importante de l’empreinte carbone de l’activité, au regard du très faible impact carbone de l’aluminium recyclé. Ces exemples de transformations réussies poussent à l’optimisme !
Le gérant de transition : entre optimisme et lucidité
Pour citer Charlie Munger qui nous a quittés l’an dernier, «Tout bon investisseur doit être fondamentalement optimiste, car vous pariez sur l’amélioration du monde. Les défis sont inévitables, mais ils ne signifient pas la fin du progrès.» A la lecture du dernier rapport du GIEC, et sans en nier l’alarmisme, nous observons que ce dernier insiste sur le fait que nous disposons déjà de la plupart des solutions et technologies nécessaires permettant de décarboner nos économies. A commencer par l’électrification, qui est au cœur de la recomposition de notre mix énergétique. L’ensemble des scénarios de transition s’accordent sur le fait qu’il nous faut mener le double chantier consistant à électrifier au maximum les usages tout en décarbonant en parallèle la génération d’électricité par du renouvelable ou de l’énergie nucléaire. Une bonne nouvelle dans ce sens nous vient du dernier rapport de l’IEA d’octobre 2024 qui constate l’accélération de la croissance mondiale de la production d’énergies renouvelables - et en particulier du solaire - au-delà des prévisions des objectifs étatiques. Bien souvent, les analystes anticipent mal les trajectoires de croissance non linéaires alimentées par des phénomènes d’adoption dont l’impact cumulatif est puissant. Dans le cas du solaire, l’accélération de la délivrance des permis de construire observée dans plusieurs pays, conjuguée à la baisse des coûts des modules photovoltaïques en Chine, a fait passer l’adoption de cette technologie dans une nouvelle ère. La même observation peut s’appliquer aux batteries qui bénéficient de baisses des coûts, de la hausse de leur densité énergétique, et des progrès en chimie des matériaux permettant de réduire les teneurs en métaux critiques. Une hausse de la pénétration des batteries dans nos réseaux électriques devrait permettre de combler l’intermittence du renouvelable. De manière concomitante, les planètes s’alignent pour la mobilité avec l’atteinte du fameux point de parité de coûts de €100/kwh permettant à la voiture électrique de se vendre au même prix qu’une voiture thermique. Que de bonnes nouvelles et d’opportunités de croissance !
L’optimisme et l’attractivité de ces nouveaux gisements de création de valeur ne doivent cependant pas faire perdre de vue une nécessaire lucidité sur la complexité d’investir et de profiter de cette transition. Bien souvent, les entreprises qui bénéficient de manière évidente de la transition voient leur valorisation refléter ces scénarios, parfois même de manière excessive, ne laissant qu’une faible marge de manœuvre pour espérer faire de bonnes affaires. Se tenir à l’écart des bulles spéculatives est un défi de taille pour l’investisseur qui risque à tout moment de céder à la tentation de sauter sur la prochaine fausse bonne idée. Comme mentionné dans un aparté précédent sur l’attraction des bulles “La lucidité envers les bulles est une des facettes les plus importantes de l’investissement responsable”. Bien souvent, la peur de passer à côté, le fameux “FOMO” (fear of missing out) met sous pression l’investisseur de transition qui craint de payer cher sa non exposition à certaines thématiques notamment lorsque son mandat d’investissement l’incite ou même l’oblige à investir dans certains secteurs même en absence de forte conviction (raisons marketing ou dictature des indices thématiques auxquels le gérant est comparé). De notre point de vue, la discipline que nous essayons d’appliquer tous les jours vise à se prémunir contre ce piège en distinguant ce que l’investisseur paie (le prix) de ce qu’il reçoit (la valeur). Cela permet à l’investisseur de confronter l’histoire et les perspectives à la réalité des chiffres de croissance et de la rentabilité implicite attendue. Il peut dès lors mieux placer son curseur en fonction de son appétence au risque, guidé par la boussole de l’approche fondamentale.
"Embarquer les épargnants dans des bulles conduirait à des risques de perte de confiance importants des investisseurs alors même que leur engagement est stratégique"
En tant qu’investisseurs fondamentaux marqués par une éducation value, nous préférons à l’inverse faire la chasse aux “champions cachés” de la transition et accompagner certaines entreprises à l’écart des modes boursières. C’est ainsi que la discrète PME italienne Cembre, fournisseur de marqueurs de câbles et de connecteurs électriques depuis les années 1970, profite de l’électrification des usages tout en traitant à des valorisations qui restent à l’écart des bulles. Nous sommes friands de ce genre de profils. Le fameux adage américain du 19ème siècle nous rappelle que pendant la ruée vers l’or, ce ne sont pas les chercheurs d’or qui se sont le plus enrichis, mais les vendeurs de pelles et de pioches.
La capacité de discernement est d’autant plus importante face au développement des ETF thématiques qui absorbent une partie des flux désirant s’exposer aux sociétés bénéficiaires de la transition. Les capitaux abondants se retrouvent bien souvent concentrés sur une poignée de valeurs de la transition. L’exemple de l’ETF S&P Clean Energy illustre ce phénomène à la perfection. Souvent cité comme la solution boursière la plus évidente pour investir dans la thématique climatique, cet indice a d’abord connu une envolée corrélée aux flux abondants de la période 2020/2021, avant d’entamer un dégonflement douloureux. Certains acteurs phares de la transition faisant partie de l’indice comme Neoen, Voltalia, ou Vestas évoluent actuellement loin de leur sommet boursier de 2021 malgré un développement opérationnel plutôt satisfaisant ces dernières années. Dans ce contexte, la gestion active reste plus que jamais pertinente ! Qu’il soit motivé par une conviction, une pression réglementaire, ou une volonté de limiter les risques futurs du changement climatique, le déploiement des capitaux au service de la transition climatique offre aux gérants d’actifs une opportunité majeure qu’il convient de saisir avec prudence et responsabilité. Embarquer les épargnants dans des bulles conduirait à des risques de perte de confiance importants des investisseurs lorsque celles-ci éclatent inévitablement alors même que leur engagement à long terme est stratégique pour financer la transition.
Rôle de l'investisseur : un métier de plus en plus complexe
La gestion active est d’autant plus pertinente que le rôle de l’investisseur de transition évolue radicalement. Si, historiquement, les investisseurs se concentraient principalement sur les rendements financiers, aujourd’hui, ils doivent absolument intégrer des considérations climatiques et environnementales au sein de leurs analyses. Cette transformation nécessite une compréhension approfondie de nouveaux outils et concepts, ainsi qu’une réévaluation des risques et des opportunités associés à un terrain de jeu de plus en plus complexe.
Il convient de se replonger dans la science afin de mieux comprendre les technologies les plus adaptées à la transition. S’intéresser en premier lieu aux concepts comme la thermodynamique, la densité énergétique, ou les conflits d’usages de ressources permet de développer un regard critique sur les scénarios de transition retenus par les pays et les entreprises auxquelles nous allouons nos capitaux.
A titre d’exemple, la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) en France, l’outil national de planification stratégique qui retranscrit de manière concrète la transition du pays vers le Net-Zéro, a dû revoir ses hypothèses cette année après avoir largement surestimé le rôle des solutions à base de biomasse dans la transition alors même que sa disponibilité aussi bien en tant que source d’énergie que de puits de CO2 est mise à rude épreuve par le réchauffement climatique. Par conséquent, certains plans d’affaires de sociétés ayant incorporé un accès illimité à la biomasse comme vecteur de décarbonation seront à reconsidérer. Si la prévision et la gestion des risques ont toujours été au cœur du métier d’investisseur, ces risques sont aujourd’hui exacerbés par l’instabilité climatique. Comment un assureur peut-il recalibrer ses modèles face à l’augmentation des catastrophes naturelles ?
Quelle stratégie un exploitant agricole doit-il adopter pour pallier un climat changeant ? L’investisseur doit non seulement anticiper ces changements, mais aussi évaluer l’aptitude des entreprises à s’adapter et à prospérer dans cette nouvelle réalité. Bien entendu, le sens de l’histoire voudrait que l’investisseur soit aidé à mieux évaluer ces risques par une meilleure information sur les données CO2. Cette dernière continue de s’améliorer et de s’affiner au fil des années. Là encore, cela nécessite de se former sur la comptabilité carbone, d’étudier le GHG Protocol qui fait référence en la matière, ou encore de connaître l’ordre de grandeur des différents facteurs d’émissions afin de mieux comprendre les besoins énergétiques des émetteurs selon la nature de leur activité ainsi que la crédibilité des scénarios de décarbonation.
Bien souvent, le diable est dans les détails. En guise d’exemple, certaines grandes entreprises de la tech américaine comme Amazon, Meta ou Apple considèrent au sein de leur comptabilité carbone que leur électricité est 100% renouvelable car ils achètent l’équivalent des besoins consommés par leurs centres de données à des fermes solaires ou éoliennes. Cela explique d’ailleurs que ces entreprises figurent souvent en tête de nombreux fonds bas carbone. alors même que leurs entrepôts de données peuvent se situer dans d’autres régions disposant d’un réseau électrique alimenté majoritairement par des sources fossiles. Aujourd’hui, les standards comptables autorisent ces deux approches : le calcul des émissions selon une approche physique correspondant à la localisation de la consommation, ou selon l’approche de “marché”. Ce sont pourtant des réalités très différentes, dont la compréhension est nécessaire afin de se forger un avis sur l’impact de l’Intelligence Artificielle, énergivore, sur la consommation d’électricité. C’est en cela qu’encourager et engager les entreprises à la transparence carbone via une réponse au questionnaire du CDP (Carbon Disclosure Project) est intéressante. L’organisme requiert en effet un reporting des deux approches alors même que la simple lecture du rapport annuel d’Apple, où seule l’approche de marché est retenue, amènerait à conclure que la société est neutre en carbone alors que la réalité physique est toute autre. L’investisseur doit être capable de décoder ces nuances pour évaluer la réelle empreinte environnementale. Loin d’être contre le développement de l’IA ou d’alimenter un raisonnement décroissant, nous considérons que la bonne compréhension de ces enjeux permet également d’anticiper de futures opportunités. Depuis quelques mois, nos discussions avec certains développeurs de fermes solaires en Espagne nous indiquent que les GAFAMs ont accentué leur présence dans la péninsule ibérique ainsi que dans d’autres pays d’Europe du Sud pour y implanter leurs centres de données afin de capturer les électrons décarbonés du solaire. Dans ces pays, l’électricité photovoltaïque est tellement abondante qu’elle occasionne des épisodes de prix négatifs de plus en plus fréquents. Et si, au final, l’implémentation de centres de données contribuait à pérenniser le modèle énergétique des pays d’Europe du Sud ? Et si une partie des gagnants se trouvait du côté des développeurs d’énergie renouvelable d’Europe du Sud disposant de points de connexion disponibles ? Bien souvent, de très bonnes opportunités se révèlent lorsque l’investisseur adopte le concept de “pensée de second niveau”, popularisé par l’investisseur Howard Marks dans son livre The Most Important Thing: Uncommon Sense for the Thoughtful Investor. Marks y explique qu’il s’agit d’une compétence essentielle pour les investisseurs. Ces derniers doivent non seulement être en mesure d’anticiper les effets de premier ordre, mais surtout les retombées et conséquences de second ordre.Ce processus permet de saisir les opportunités les moins évidentes au premier abord, mais qui peuvent offrir un couple rendement-risque supérieur. Une telle approche n’est réalisable qu’à condition que l’investisseur de transition s’engage dans une démarche d’apprentissage continue des nouveaux savoirs nécessaires pour décrypter les implications d’une société bas carbone.
Une opportunité historique
Le défi climatique, loin d’être un obstacle insurmontable, se révèle être une opportunité inédite. La transition bas carbone ouvre la voie à une transformation profonde de nos économies et à l’émergence de nouveaux secteurs, solutions et donc de nouveaux leaders. Pour les investisseurs, elle constitue une chance unique de participer activement à la construction d’un avenir conciliant rentabilité financière et responsabilité écologique. Réussir dans cet environnement impose à l’investisseur de transition une discipline rigoureuse, un pragmatisme éclairé et, avant tout, une aptitude constante à s’éduquer et à s’adapter aux nouvelles réalités de son métier.
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